UNSRI GSCHìCHT – EPHEMERIDE DE FEVRIER 2020
7 février 1940 : KARL ROOS, AUTONOMISTE ALSACIEN, EST FUSILLÉ À CHAMPIGNEUL, PRES DE NANCY
C’était il y a 80 ans. Le 7 février 1940, à l’issue d’une parodie de procès en séances secrètes devant un tribunal militaire français, le leader autonomiste Karl Roos était fusillé à Champigneulles, près de Nancy. Un autre Dreyfus…
Figure emblématique du mouvement autonomiste alsacien de l’entre-deux-guerres, Karl Roos est né le 7 septembre 1878 à Surbourg. Après avoir fréquenté le collège épiscopal de Strasbourg, il passe son Abitur, puis continue ses études aux universités de Freiburg-im-Breisgau et de Strasbourg, où il décroche le titre de docteur en linguistique. Sa thèse traite des termes étrangers dans le dialecte alsacien. Il professe ensuite à Barr, Sainte-Marie-aux-Mines, Bochum et Köln. Mobilisé en 1914, il termine la guerre avec le grade de lieutenant.
L’ALSACE SE REBIFFE
Après novembre 1918, il est profondément choqué par l’expulsion des Alt-Deutsche, le nationalisme arrogant des Français, les injustices et la politique de mise au pas. Opposé à la politique d’assimilation, il rejoint les Heimatrechtler et sera de toutes leurs luttes. Il est signataire du manifeste du Heimatbund (1926) dont il devient le secrétaire général en mai 1927. En novembre de la même année, il co-fonde la Landespartei qui réclame le droit pour les Alsaciens de disposer d’eux-mêmes et en prend la direction.

Charles Roos – crayonné durant son procès
Le mécontentement allant grandissant, Paris réagit et accuse les autonomistes de fomenter un complot contre la sûreté de l’État. Entre novembre 1927 et mars 1928, leur presse est interdite et leurs principaux responsables emprisonnés. Karl Roos, en tournée de conférences en Suisse, échappe à l’arrestation. Suit le célèbre Komplott-prozess de Colmar. Roos est jugé par contumace le 12 juin 1928 et condamné à 15 ans de détention et 20 ans d’interdiction de séjour. Mais en novembre 1928, se jouant du filet policier, il revient à Strasbourg et tient un grand meeting au Sängerhüss. Dès lors, il sera en butte à l’animosité de la police, qu’il vient de ridiculiser.
S’étant constitué prisonnier, en juin 1929, il est rejugé à Besançon et acquitté. En 1930, avec Paul Schall et René Hauss, il fonde le quotidien Elsass-Lothringische Zeitung (ELZ). Populaire et charismatique, il enchaîne les succès. Élu au conseil municipal de Strasbourg en mai 1929 – alors même qu’il est en prison à Besançon ! – il renonce au poste de maire qu’on lui propose. En 1931, il entre au conseil général du Bas-Rhin et en devient le vice-président.

Affiche électorale du Dr Karl Roos
En automne 1937, pour lutter contre la déculturation scolaire, il crée l’Elsässisches Volksbildungsverein. Il veut alors se mettre en retrait de la vie politique pour se consacrer pleinement à la défense de la langue, sa vraie passion. Mais pour les « nationaux », il continue d’incarner la ligne d’un autonomisme sans concession.
PARIS FRAPPE UN GRAND COUP !
A partir de 1933/1934, avec la montée des tensions nationalistes, le lynchage médiatique des autonomistes reprend : on les traite d’« agents de l’Allemagne ». Paris songe aux moyens législatifs pour neutraliser leurs chefs dont Karl Roos. La guerre qui pointe lui en fournit l’occasion. Un décret-loi du 17 juin 1938 permet de punir de mort de simples suspects d’espionnage, à charge pour eux de prouver leur innocence, ce qui est quasi impossible. Une campagne journalistico-policière est lancée contre les autonomistes. De février à novembre 1939, perquisitions et arrestations des chefs autonomistes se succèdent. Les associations et la presse autonomistes sont interdites.

La place Kleber est rebaptisée Karl Roos Platz
Dès le 4 février 1939, Roos est arrêté sous l’accusation d’espionnage portée par son chauffeur Julien Marco, un personnage trouble. Après une série d’interrogatoires, il est transféré à la prison militaire de Nancy. Son dossier n’est instruit qu’à charge ! Que Roos, chef politique parmi les plus exposés d’Alsace, ait pu être employé par les Allemands pour des opérations de renseignements, est absolument invraisemblable ! Le tribunal militaire de Nancy est pourtant chargé de le juger… en sessions secrètes.
KARL ROOS, PRÉSUMÉ COUPABLE !
Les droits de la défense étant constamment violés, son procès confine au traquenard judiciaire : un seul défenseur sur les trois prévus est présent au procès ; les témoins à décharge demandés ne sont pas cités ; un seul homme politique peut venir témoigner en sa faveur ; les témoins à charge sont essentiellement les policiers, etc.

Paris Soir du 8 février 1940
Hormis les déclarations accusatrices de Marco, qui s’avérera être un agent double, le tribunal ne disposait d’aucun élément sérieux pour prouver que Roos ait espionné.
LES DEUX PRINCIPALES ACCUSATIONS
Dès décembre 1938, la police avait arrêté Marco, dont elle savait qu’il était en relation avec le chef de la Gestapo de Kehl. Avec lui, elle tenait le précieux fil qui allait lui permettre de lier opportunément Roos à une procédure d’espionnage. Devant choisir entre passer devant un peloton d’exécution ou permettre l’exécution de Roos, Marco acceptera de charger son ancien patron. Il déclarera avoir transmis des renseignements militaires aux Allemands sur son ordre, ce que Roos a toujours fermement nié.
La police exhibera également une photo prétendument de Roos en uniforme présenté comme étant celui de la S.A, et saluant, le bras levé. En effet, en 1934, Roos fait partie d’une délégation du conseil municipal et des Hospices de Strasbourg qui effectue un voyage d’étude à Cottbus. C’est à la suite d’une soirée bien arrosée chez le maire de Cottbus qu’un convive endosse par plaisanterie l’uniforme de Bürgermeister de l’hôte des Strasbourgeois ; une photo fut prise pour témoigner de la bonne humeur du moment. Pour les besoins du dossier, la police mettra la « tête [de Roos] sur un uniforme », racontera un autre participant au voyage d’étude…
Le 26 octobre 1939 à 12h30, à l’issue d’une monstrueuse parodie de justice qui avait débuté trois jours plus tôt, Karl Roos, est condamné à mort (l’espion Marco n’est condamné qu’à cinq ans de prison). Dès lors, il est entravé jour et nuit par de lourdes chaînes aux pieds. Le 9 novembre 1939, son pourvoi est rejeté par le tribunal militaire de cassation. Le 6 février 1940, le président Albert Lebrun rejette son recours en grâce.

Chaines que portaient aux pieds Karl Roos durant des mois dans la cellule des condamnés à mort.
KARL ROOS EST EXCÉCUTÉ
Le 7 février 1940, le Dr Karl Roos est fusillé par un glacial matin d’hiver à Champigneulles, près de Nancy. Quand le procureur Marcy vient le tirer de sa cellule, il clame une dernière fois son innocence. Arrivé sur le lieu du supplice, il dit à l’aumônier : « Je meurs fidèle à ma foi, à ma Heimat et à mes amis ». Obligé à se mettre à genoux dans la neige, les mains entravées dans le dos et attachées au poteau d’exécution, on lui bande les yeux. Il récite une vieille prière alsacienne : Jesus dir lebe ich, Jesus dir… ! Il n’a pas le temps de continuer. Pour l’achever, on lui tire une dernière balle dans la nuque. Il est 6h58 du matin. Quant au peloton d’exécution, on a pris soin en haut lieu, à des fins de propagande, de ne choisir que des soldats alsaciens. Le lendemain, la presse parisienne exulte !
LES NAZIS INSTRUMENTALISENT SA MORT
Le 9 août 1940, le Reichsleiter Martin Bormann, depuis l’Obersalzberg, écrit au Gauleiter Wagner : « Le Führer a exprimé hier dans une conversation, qu’il tenait pour juste que l’Alsacien Roos ne soit plus considéré plus longtemps comme un autonomiste alsacien ; mais, d’après l’avis du Führer, le parti devrait s’accaparer Roos et le présenter comme un combattant de la liberté de la grande Allemagne ». Dès lors, la Gaupropagandaleitung le fera apparaître comme un héros allemand. La place Kléber est rebaptisée « Karl Roos-Platz » ; en juin 1941, sa dépouille est transférée dans la Friedensturm de la Hünenburg, près de Saverne et déposée dans un sarcophage de grès.
À la libération, en novembre 1944, le sarcophage est précipité du haut de la tour dans le ravin en contrebas. Nul ne sait ce qu’il est advenu de sa dépouille.
KARL ROOS, UN AUTRE DREYFUS…
Aujourd’hui, des historiens s’accordent à penser que Roos était innocent des accusations portées contre lui. Lothar Kettenacker parle de « crime judiciaire » et de « folie politique » (in Nationalsozialistische Volkstumspolitik im Elsass, 1973, p. 32). Bernard Vogler affirme que « les Français n’avaient pas la preuve de sa culpabilité » (interview parue dans le mensuel Rot un Wiss n°230, février 1997, p.5).
Très curieusement, le dossier de la procédure militaire de Karl Roos a disparu des archives…
Pour Unsri Gschìcht
Bernard Wittmann
Historien, membre du conseil scientifique
www.unsrigschicht.org